L’historien Alexandre Dupont fait le point sur les mouvements contre-révolutionnaires du 19e siècle.

Vous êtes spécialiste de l’internationale blanche : de quoi s’agit-il ?

Les chercheurs se sont intéressés depuis longtemps aux internationales socialistes et ouvrières du 19e siècle. Mais il existe aussi à cette époque des réseaux internationaux royalistes et catholiques. Certes, ils n’ont pas d’organisation centralisée : l’internationale blanche est un terme forgé par les historiens et n’existe pas en tant qu’institution. Mais ces réseaux sont bien réels. On les trouve en particulier dans l’Europe catholique – France, Espagne, Italie, Autriche, etc. – mais ils ont aussi des résonances, encore mal connues, hors de l’Europe. Ils soutiennent des insurrections armées et des guerres civiles, comme en Vendée, dans le Sud de l’Italie ou en Navarre.

Qui sont ces contre-révolutionnaires ?

L’internationale blanche repose avant tout sur des réseaux nobles et ecclésiastiques. Les circulations humaines, notamment celle des exilés politiques, jouent un rôle important. C’est le cas par exemple du français Henri de Cathelineau, sorte de pendant contre-révolutionnaire de Garibaldi : actif dans le soulèvement vendéen de 1832, il participe ensuite aux combats en faveur du roi absolutiste portugais Michel Ier et du prétendant espagnol Don Carlos. On retrouve Cathelineau un peu plus tard à Rome, où il défend les États pontificaux. Mais il est intéressant de noter qu’une partie des classes populaires se retrouve aussi dans ces mouvements contre-révolutionnaires, ce qui d’ailleurs provoque parfois des tensions. Dans le sud de l’Italie par exemple, les populations locales n’acceptent qu’avec réticence le soutien des volontaires espagnols venus les aider. Enfin, les femmes jouent un rôle actif, même s’il est encore méconnu. Ce rôle se déploie dans les domaines traditionnels de l’engagement féminin – soin aux blessés, rôle de care – mais ne s’y limite pas : on les retrouve aussi impliquées dans la recherche de financement par exemple. Ces mouvements contre-révolutionnaires sont donc plus complexes qu’on ne l’a longtemps pensé.

Leur objectif politique est-il un retour à la royauté ?

Émergeant en réaction aux révolutions de la fin du 18e siècle, ces contre-révolutionnaires veulent un retour à l’Ancien Régime, au roi, à Dieu. Mais ils utilisent des méthodes novatrices, par exemple en construisant des réseaux de financement internationaux, en utilisant les armements les plus en pointe, et ont parfaitement compris l’importance de la communication de masse. Et ils ont conscience que le monde a changé. C’est là tout leur paradoxe : ils considèrent que Dieu régit les destinées humaines, que les hommes sont des instruments de Dieu. Ils veulent donc revenir à un monde apolitique. Mais pour y parvenir, ils passent par une mobilisation politique, par le recours au peuple, parfois même par le vote. Donc, en pratique, ils construisent un contre-modèle d’un nouveau genre. Ce faisant, ils ont marqué notre histoire. Certes, après 1880, ils perdent de leur force. Une partie se fond alors dans le nationalisme : on les retrouve par exemple dans l’Action française, ou encore parmi les engagés volontaires du côté franquiste dans la guerre civile espagnole. Mais ils ont eu un poids très important en leur temps. Au 19e siècle, la mobilisation de l’internationale blanche contre les héritages révolutionnaires et l’émergence des nouveaux régimes politiques a obligé le reste de la société à se positionner face à elle et à réagir. En cela, les contre-révolutionnaires ont contribué, involontairement, à forger notre modernité.

Magazine Sciences humaines n°336, mai 2021)